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 04/07/2014
Actualités, Réorganisation / Restructurations

Co-emploi : et si la France redevenait un pays où il fait bon investir pour un groupe étranger ?

Paru sur le site AEF, Par Marie-Françoise Clavel.

La Cour de cassation, dans son arrêt du 2 juillet 2014 sur le co-emploi (lire sur AEF), "prouve qu’elle connaît la vraie vie en consacrant l’inévitable domination économique des groupes sur leurs filiales et la nécessaire coordination de ces dernières entre elles. Elle réserve aux juges du fond le soin de regarder si coordination et domination s’inscrivent dans des limites raisonnables ou dégénèrent en une forme d’inféodation déresponsabilisée. La frontière est ténue, mais elle est désormais admise".
C’est ce qu’explique Nicolas Sauvage, avocat associé au cabinet SEA Avocats, dans un entretien à l’AEF. La Cour "circonscrit donc le risque de co-emploi au seul cas pathologique où le désormais diabolique triptyque confusion-d’intérêts-d’activité-et-de-direction conduit à 'une immixtion [de la société-mère] dans la gestion économique et sociale' de la filiale", explique l’avocat.


La Cour de cassation précise, dans un arrêt du 2 juillet 2014 (lire sur AEF) que "hors l’existence d’un lien de subordination, une société faisant partie d’un groupe ne peut être considérée comme un co-employeur à l’égard du personnel employé par une autre, que s’il existe entre elles, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l’état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, une confusion d’intérêts, d’activités et de direction se manifestant par une immixtion dans la gestion économique et sociale de cette dernière". Nicolas Sauvage, avocat associé au cabinet SEA Avocats, commente pour AEF la portée de cet arrêt et ses conséquences pour les entreprises.

 

AEF : Pourquoi cet arrêt de la Cour de cassation est-il important ?


Nicolas Sauvage : Cette décision marque un réjouissant retour à la réalité de la part de la Cour de cassation. C’est une décision ciselée que la chambre sociale a choisi de rendre en formation de section complète, pour marquer une certaine solennité. Elle est codée FS-P-B. Cela marque la volonté de la chambre de lui donner une large publicité. Sur le fond, elle admet enfin une évidence que le monde des affaires vit au quotidien : la "nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe" et "l’état de domination économique que cette appartenance peut engendrer". Elle circonscrit donc le risque de co-emploi au seul cas pathologique où le désormais diabolique triptyque confusion-d’intérêts-d’activité-et-de-direction conduit à une "immixtion dans la gestion économique et sociale de cette dernière". Elle rejoint en cela la position de la chambre commerciale qui procède pareillement pour accepter ou rejeter les actions en confusion de patrimoine, au nom de "l’immixtion dans la gestion".

 

AEF : En quoi la position antérieure de la Cour de cassation était-elle critiquée ?


Nicolas Sauvage : Auparavant, la chambre sociale s’était écartée de l’orthodoxie juridique (notamment les fameux arrêts de la Cour de cassation Aspocomp du 19 juin 2007 et Jungheinrich des 18 janvier et 30 novembre 2011). Ce qui avait chagriné de nombreux commentateurs. Elle avait innové en créant le co-emploi sans salarié : là où on pourrait admettre un co-emploi quand deux entreprises font travailler, sous leur subordination commune, des salariés (salaire payé par l’une ou les deux, exercice du pouvoir de contrôle et de sanction tantôt par l’une, tantôt par l’autre, prestation de travail rendue indistinctement à l’une ou à l’autre), la chambre sociale avait fait œuvre d’innovation avec un mobile purement financier : trouver par la fiction du co-emploi un débiteur solvable à condamner, pour que soient indemnisés des salariés licenciés pour motif économique par une filiale française insolvable. De sorte que, contrairement à ce qui devrait guider la recherche de justice immanente rendue "au nom du peuple français", la fin justifiait les moyens.

Alertée par les professionnels du droit sur les conséquences insoupçonnées de cette jurisprudence, et pourtant mise devant l’option idéale d’une question préjudicielle (Jungheinrich 30 novembre 2011) qui lui aurait permis de ne pas "revirer" mais de se plier à la décision de la CJUE, la Cour de cassation s’est entêtée. Elle a emporté dans son sillage plusieurs cours d’appels, et de nombreux conseils de prud’hommes dans des décisions médiatisées à outrance et dont les échos sont parvenus bien au-delà de nos frontières, paniquant les investisseurs étrangers.

 

AEF : Quelles sont les conséquences pour les groupes de ces arrêts ?


Nicolas Sauvage : On observera à titre préliminaire que ces arrêts ont tous été rendus sur un problème de compétence territoriale d’une juridiction française pour juger en France une société étrangère qui n’a jamais été l’employeur contractuel des salariés demandeurs.

Sur le fond, les décisions se sont délitées devant les cours d’appel tant il est vain de critiquer l’autre pan de la construction prétorienne de la chambre sociale qu’est l’appréciation au niveau mondial des difficultés économiques d’un secteur d’activité dont fait partie la filiale française attaquée. Lors de mes déplacements internationaux, j’ai depuis 7 ans évoqué le risque de co-emploi. Or ceux qui connaissent le monde de l’entreprise et les groupes, français ou étrangers, savent que le diabolique triptyque cité précédemment est quasiment inévitable dans toute organisation, surtout dite "matricielle". Comme les groupes ne vont pas changer leur organisation mondiale, simplement pour échapper à une condamnation par des tribunaux français, fondée sur le co-emploi, ils ont mis en place deux parades. D’une part, un intense travail de droit des sociétés consistant à supprimer tout dirigeant commun entre groupe et filiale française, afin de faire tomber l’idée de la "confusion de dirigeants". Le caractère artificiel de ce jeu de chaises musicales n’échappe à personne. Mais que faire d’autre pour résister à une orientation jurisprudentielle défavorable ? D’autre part, beaucoup plus grave : les groupes se sont abstenus de nouveaux investissements en France, depuis 4 ans, et ont tourné les yeux vers des cieux économiques et judiciaires plus cléments.

Le désarroi des praticiens du droit social face à la théorie du co-emploi, qui accélère le désinvestissement étranger, a atteint son paroxysme lors d’un colloque organisé par Avosial à l’HEAD, le 25 juin 2013. Intervenant sur le sujet du co-emploi, un éminent conseiller de la chambre sociale a lancé à l’assemblée sidérée : "Vous n’allez tout de même pas me dire que vos clients pensent ne serait-ce qu’une minute au co-emploi quand ils envisagent un PSE ?" Tant de candeur a laissé cois les participants, dont les dossiers regorgent de mémos sur le sujet, émaillés des ahurissantes condamnations dans les dossiers médiatiques cités précédemment, auxquels on pourrait ajouter les arrêts de cour d’appel concernant Bosch et Continental.

 

AEF : Dans quelles circonstances le co-emploi pourra-t-il être retenu ?


Nicolas Sauvage : La décision du 2 juillet mériterait d’être apprise par cœur par les étudiants en droit tant elle est bien écrite et mesurée. Le juge est là pour faire respecter la loi dans la cité. Il doit donc connaître la "vraie vie". La chambre sociale le prouve ici en consacrant l’inévitable domination économique des groupes sur leurs filiales et la nécessaire coordination de ces dernières entre elles. Elle réserve aux juges du fond le soin de regarder si coordination et domination s’inscrivent dans des limites raisonnables ou dégénèrent en une forme d’inféodation déresponsabilisée. La frontière est ténue, mais elle est désormais admise.

 

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