Une énième loi sur les stages : une fausse bonne idée ?
Publié le :
15/09/2014
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La loi n°2014-788 du 10 juillet 2014 tendant au développement, à l’encadrement des stages et à l’amélioration du statut des stagiaires vient compléter la règlementation des stages, en introduisant notamment un plafond ou quota maximum de stagiaires en fonction de l’effectif de l’entreprise.
Certes, on comprend la logique protectionniste du législateur (limiter les stages afin de contraindre à embaucher). Mais, cela était-il vraiment nécessaire ? Les rares abus de certains doivent-ils conduire à davantage de rigidité et d’insécurité juridique pour les entreprises ? Faut-il encore complexifier l’accès des jeunes à une expérience qualifiante en vue d’un accès marché du travail ?
La loi n°2014-788 du 10 juillet 2014 tendant au développement, à l’encadrement des stages et à l’amélioration du statut des stagiaires prévoit :
- l’exclusion des stages en dehors d’un cursus de formation dispensant un minimum d’heures de cours par an,
- la réduction des exceptions à la durée maximum des stages de 6 mois,
- la mise en place d’un double suivi du stagiaire par l’établissement d’enseignement et par un tuteur désigné à cet effet dans l’entreprise,
- l’instauration d’un quota ou plafond maximum de stagiaires par tuteur,
- l’instauration d’un quota ou plafond maximum de stagiaires en fonction de l’effectif de l’entreprise,
- l’augmentation de la gratification mensuelle minimale pour les stages de plus de 2 mois de 12% à 15% du plafond horaire de la sécurité sociale,
- l’exonération d’impôt sur le revenu de la gratification,
- l’instauration d’autorisation d’absence et de congé,
- l’alignement du temps de présence des stagiaires sur celui des salariés,
- l’obligation à la charge de l’entreprise d’établir un décompte du temps de présence des stagiaires,
- l’extension aux stagiaires de l’accès aux restaurants d’entreprise, du bénéfice des titres restaurant ou du remboursement des frais de transports lorsqu’ils existent pour les salariés,
- l’inscription des stagiaires dans une section spécifique du registre unique du personnel,
- le renforcement des moyens d’identifier et de sanctionner les abus éventuels,
- une facilitation des recours contentieux,
- la compilation des dispositions applicables aux stagiaires dans le code de l’éducation.
Cette loi doit être complétée par deux décrets à venir :
- un sur les obligations incombant à l’employeur (contenu de la convention de stage, informations relatives aux stagiaires dans le registre unique du personnel, etc.),
- un autre sur les quotas ou plafonds de stagiaires dans les entreprises.
A l’exception de l’augmentation de la gratification applicable à compter du 1er septembre 2015, l’ensemble des mesures est entré en vigueur le lendemain de la publication de la loi, soit le 11 juillet 2014.
Une complexification croissante de l’arrivée sur le marché du travail…
Alors que le stage vise à faciliter l’insertion sur le marché du travail pour bon nombre d’étudiants, le législateur ne cesse de complexifier ce statut.La loi du 10 juillet 2014 succède en effet à une multitude de textes législatifs, règlementaires et conventionnels édictés depuis 2006, dont :
- la loi n°2011-893 du 28 juillet 2011 pour le développement de l’alternance et la sécurisation des parcours professionnels, dite loi « Cherpion »,
- la loi n°2013-660 du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche.
Depuis l’entrée en vigueur de ces deux lois :
- aucun stage ne peut être réalisé hors cursus scolaire ;
- aucun stage ne peut avoir une durée supérieure à 6 mois ;
- un délai de carence entre deux stages (du tiers de la durée du stage précédent) doit être respecté lorsque les entreprises accueillent successivement des stagiaires sur un même poste.
Un tel dispositif a été jugé comme étant le plus protectionniste au sein de l’UE par l’analyse d’impact accompagnant la proposition de recommandation du Conseil européen relative à un cadre de qualité pour les stages réalisé en 2013.
Cependant, sous prétexte de favoriser le développement de stages de qualité et d’éviter que les stages ne se substituent à des emplois, le législateur a apporté de nouvelles limitations. Cela va-t-il bien dans le sens de la confiance que le gouvernement et le législateur souhaitent témoigner aux entreprises ? Les quelques abus de certains doivent-ils réellement tendre vers une limitation des stages qui permettent aux étudiants d’acquérir des compétences pratiques et aux entreprises de rencontrer de potentiels futurs salariés ?
… au détriment des stagiaires eux-mêmes ?
L’essentiel des critiques visent l’instauration d’un plafond de stagiaires.Si cette mesure fait perdre un peu de flexibilité aux entreprises, elle fait surtout craindre aux étudiants une pénurie de stages et un accroissement de la compétition entre les candidats, avant même d’arriver sur le marché du travail.
… au détriment de la sécurité juridique ?
La loi du 10 juillet 2014 aligne le statut du stagiaire sur celui des salariés en matière :- d’indemnisation des frais de repas et de transport,
- d’absences et de congés,
- de « temps de présence ».
Cependant, cette assimilation suscite plusieurs interrogations :
- Si le code du travail distingue le temps de travail et le temps de présence des salariés, il ne règlemente que le temps de travail via des durées maximales quotidienne et hebdomadaire. C’est donc à tort que l’article L. 124-14 du code de l’éducation prévoit désormais que :
« La présence du stagiaire dans l’organisme d’accueil suit les règles applicables aux salariés pour ce qui a trait :
1° Aux durées maximales quotidienne et hebdomadaire de présence,
2° A la présence de nuit,
3° Au repos quotidien, au repos hebdomadaire et aux jours fériés. »
- Que faut-il comprendre lorsque l’article L.124-13 alinéa 2 du code du travail dispose que « pour les stages […] dont la durée est supérieure à deux mois et dans la limite de la durée maximale [de six mois], la convention de stage doit prévoir la possibilité de congés et d’autorisations d’absence au bénéfice du stagiaire » ? Les congés et autorisations d’absence sont-ils proportionnels à ceux des salariés ou l’entreprise peut-elle convenir de congés et d’autorisation d’absence différents ?
Selon SEA Avocats, cette disposition n’attribue pas aux stagiaires le bénéfice des congés payés et des autorisations d’absence des salariés. Elle autorise seulement les parties à la convention de stage à prévoir des congés et autorisations d’absence, dans des conditions et selon des modalités libres, qui peuvent être moins favorables que ce qui est prévu pour les salariés.
- Plus généralement, ne faudrait-il pas tout simplement admettre qu’un stage n’est qualitatif que lorsque le salarié ne se contente pas d’être présent et d’observer mais participe à la réalisation de tâches et acquiert ainsi un savoir-faire pratique valorisable lors de sa recherche d’emploi futur ? Ne faut-il pas reconnaître que le stage constitue une forme de travail qui ne peut être opposé au salariat ?
Par ailleurs, si le dispositif du quota de stagiaire doit être précisé, notamment l’effectif à prendre en compte (nombre de salariés, équivalent temps plein, etc.), ce dispositif appelle également plusieurs questions :
- Le même quota doit-il s’appliquer à toutes les entreprises, y compris celles essentiellement constituées d’indépendants (ex : cabinets d’avocats, médecins, etc.) ?
- Les grandes entreprises bien organisées ne vont-elles pas créer des petites structures d’accueil de moins de 30 salariés pour y loger les stagiaires?
Dans un pays où 5 millions de personnes sont sans emploi, et où les jeunes de moins de 25 ans, même diplômés, connaissent le taux record de chômage sur 4 décennies, cette rigidification des stages, indiscutables tremplins vers l’emploi, n’est-elle pas à ranger sur l’immense étagère du musée des fausses bonnes idées ?
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