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 14/11/2022

LANCEURS D’ALERTE : UNE FAUSSE BONNE IDEE, BIEN A LA MODE

En octobre 2017, le célèbre barème Macron, a limité les demandes indemnitaires excessives, aux prudhommes. Le répit a été de courte durée pour les employeurs. Les avocats de salariés ont vite compris comment contourner ces limites. Ils se sont appuyés sur le texte du code du travail. La route leur était ouverte : N’assumant pas cette mesure révolutionnaire, le gouvernement a prévu une échappatoire : Il a exclu certaines situations du barème Macron. Ce sont les cas de nullités. Dans les faits, ces situations étaient autrefois rarissimes. Depuis 2017, elles foisonnent. Au premier rang désormais, se dresse la protection du lanceur d’alerte.

 

L’article L1235-3-1 énonce six cas de nullité du licenciement :

  • Violation d’une liberté fondamentale ;
  • Discrimination ;
  • Harcèlement ;
  • Licenciement consécutif à une action en justice en matière d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ;
  • Licenciement d’un salarié protégé.

Aujourd’hui, la quasi-totalité des contentieux prudhommaux vise une de ces nullités. Elles ont inondé tout le paysage prudhommal. Les plus fréquentes sont la discrimination et le harcèlement. Mais avec le temps, les juridictions ne sont plus dupes. Elles ont compris la manœuvre cachée derrière cette stratégie judiciaire. Les juges rejettent de plus en plus ces demandes. L’employeur peut de toute façon s’y opposer avec une certaine efficacité. Cependant, si jamais la nullité du licenciement est prononcée, l’addition peut être très élevée : réintégration du salarié + rappel de tous les salaires mensuels depuis le licenciement. Les contentieux prudhommaux étant souvent longs, les condamnations peuvent atteindre des sommets.

 

Évolution et fondement législatif

Parmi les causes de nullité, figurent les sanctions prononcées contre les lanceurs d’alerte. Depuis le 1er septembre 2022, leur définition a été considérablement élargie. La protection attachée à leur statut a aussi été étendue. Cette protection nouvelle va -hélas- s’inviter dans de nombreux contentieux. Nous l’anticipons. En effet, les juges connaissent encore mal la notion de lanceur d’alerte. Les avocats de salariés vont sans doute s’engouffrer dans la brèche. Il faut dire que cette protection est tout simplement hallucinante.

Certes, l’acquisition du statut de lanceur d’alerte est soumise à conditions. Le salarié est qualifié de lanceur d’alerte si :

  • Il fait de bonne foi…
  • …et sans contrepartie financière directe…
  • …des révélations portant sur :

    • un crime,
    • un délit,
    • une menace ou un préjudice pour l'intérêt général,
    • une violation ou une tentative de dissimulation d'une violation :

      • d'un engagement international régulièrement ratifié ou
      • approuvé par la France,
      • d'un acte unilatéral d'une organisation internationale pris sur le fondement d'un tel engagement,
      • du droit de l'Union européenne,
      • de la loi ou
      • du règlement ;

Nature de la révélation

A l’origine, la révélation devait porter sur une violation grave et manifeste. A défaut, elle ne conférait pas de protection au lanceur d’alerte. Ce critère a été hélas, supprimé. Les détournements du dispositif vont se multiplier. Le Conseil d’état avait vu le point, et émis une réserve (CE 4 avril 2001, Avis n°404001). Comment ne pas lui donner raison ? En effaçant cette condition, le champ des alertes est ouvert à tous les vents. Toute violation d’un règlement, même involontaire, même mineure, peut faire l’objet d’une alerte. Sur le principe, inciter les salariés à révéler des manquements peut paraître une intention vertueuse. L’employeur est averti. Il doit aussitôt réagir pour mettre un terme au manquement ou à la violation révélée. Toutefois, conférer -de manière systématique- à l’auteur de cette révélation, la protection de lanceur d’alerte, est démesuré.


Ensuite, le lanceur d’alerte n’a plus l’obligation d’avoir personnellement constaté les faits. Ceux-ci peuvent lui avoir été relatés par un collègue ou un tiers, bien ou mal intentionné. Il va donc relater des faits de bonne foi. Mais comment savoir si son collègue ne l’a pas manipulé ? Que faire si ces faits s’avèrent imaginaires ? que faire s’ils frisent la délation à visée diffamatoire ?


Enfin, le législateur a introduit la notion de « tentative de dissimulation d’une violation ». La notion de tentative reste ici très floue : Comment la distinguer de la rectification d’une erreur ? La tentative visée est-elle celle au sens du droit pénal, soit le commencement d’exécution ?


La jurisprudence va devoir éclaircir tous ces points. En attendant, un boulevard s’offre aux salariés et à leurs conseils. Contester les révélations faisant l’objet de l’alerte, semble voué à l’échec pour l’employeur.

 

Absence de contrepartie financière

Les révélations doivent être faites sans contrepartie financière directe. Il est permis de se demander si les rédacteurs du texte avaient bien dormi la nuit précédente. Qu’a-t-il bien pu leur passer par la tête pour ne pas aussitôt voir toutes les dérives de cette précision ? Avoir limité à l’absence de contrepartie « directe » rend légale la contrepartie indirecte. C’est de l’appel à la délation, contre rémunération… indirecte. Quant à la jurisprudence, elle va être bien en peine pour définir les deux notions. C’est pourtant crucial. Surtout si l’on rapproche l’ancien texte du nouveau : Auparavant, la dénonciation devait être « désintéressée ». Désormais, elle doit être « sons contrepartie financière directe ».


Autrement dit, elle peut être intéressée, mais pas rémunérée du tout ou pas directement ou pas tout de suite. Cela questionne donc la définition de l’avantage financier indirect. Imaginons un salarié dont l’alerte permet d’écarter le concurrent d’un dirigeant à la présidence d’une entreprise. Le nouveau président lui verse un bonus quelques mois après pour « services rendus ». Est-ce une rémunération directe ou indirecte ? La protection du lanceur d’alerte s’appliquerait-elle toujours ? Autre situation ubuesque : ayant commis une faute violant « la loi ou le règlement », un salarié sent l’imminence de son licenciement. Il lance une alerte sur la violation de la loi commise par lui-même. A lire strictement le nouveau texte, son employeur ne pourra plus le sanctionner : il est lanceur d’alerte… Et il n’est même pas de mauvaise foi !

 

La bonne foi

L’alerte doit être faite de bonne foi. Cela paraît anodin voire normal. Mais cette notion de bonne foi prend ici une tournure singulière. A part avocats et juges, peu de gens réalisent l’importance de la notion. Surtout pas le législateur. Subordonner à la bonne foi du lanceur d’alerte, sa protection contre le licenciement renverse la charge de la preuve. En effet, le licenciement ultérieur du salarié sera annulable, sauf si l’employeur prouve la mauvaise foi du lanceur d’alerte. Cela revient à sonder les reins et les cœurs. Ce sera quasi impossible pour l’employeur, sauf circonstance exceptionnelles.


Chaque employeur devant un lanceur d’alerte, sera confronté au dilemme : le licencier en risquant la nullité, sauf à prouver la mauvaise foi du salarié, ou perdre toute crédibilité managériale. Et l’instrumentalisation est proche : Le contentieux sur la protection des lanceurs d’alertes se concentrera sur ce point. Des salariés invoqueront à la veille d’un licenciement en gestation, tels ou tels faits. Ils instrumentaliseront l’alerte. Mais comment démontrer leur mauvaise foi ? Il ne servira même pas à l’employeur de démontrer la fausseté des faits dénoncés (Soc., 8 juill. 2020, n°18-13.593). Cela ne suffira pas, si la mauvaise foi n’est pas démontrée.

 

Durée de la protection

La durée de la protection des lanceurs d’alerte n’est pas définie. Ils sont protégés contre toutes mesures discriminatoires ou mesures de représailles ou tentatives de recourir à ces mesures. La loi du 9 décembre 2016 en édicte une liste indicative (article 10-1, II, de la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016).


Aucune précision sur le terme de la protection n’est édictée par les textes. Ainsi, une mesure prise dix ans après l’alerte, pourra être qualifiée de discriminatoire ou de représailles patronales. La charge de la preuve est favorable au salarié : il lui suffit de présenter « éléments de fait qui permettent de supposer qu'il a signalé ou divulgué des informations dans les conditions prévues aux articles 6 et 8 [de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 précitée] » (article 10-1 de la loi). En réalité, les lanceurs d’alerte sont protégés pour une durée indéterminée. Chacun imagine comment l’exercice de ce droit d’alerte va dégénérer en abus.


Dernière remarque : la contestation des mesures discriminatoires ou de représailles, se prescrit par cinq ans. Un délai bien long étendant encore la protection.


Alors, certains juges à la vue courte et aux idées anticapitalistes, se réjouiront peut-être de ce nouvel outil au service des salariés. Certains se diront qu’au moins cela contribuera à faire rentrer les entreprises « dans les clous ». Mais les conséquence seront délirantes : Chaque employeur, pour limiter les risques d’alertes, consacrera une part de sa richesse créée à vérifier sa conformité à toutes les lois et règlements. Or, avec 88 572 articles législatifs et 243 793 articles réglementaires en vigueur (source www.legifrance.gouv.fr/contenu/Media/files/autour-de-la-loi/legislatif-et-reglementaire/statistiques-de-la-norme/indicateurs_2022.pdf), il ne pourra ni tout connaître, ni tout respecter. Le statut de lanceur d’alerte a de beaux jours devant lui.

Auteur / crédit : Nicolas Sauvage / Arthur Saint Oyant / Image par Gerd Altmann de Pixabay

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